mercredi 10 février 2010

L’art et l’argent, les dollars et l’art

33 millions une fois... 33 millions deux fois... adjugé-vendu ! 33 millions de dollars, c’est la somme que l’artiste Damien Hirst s’est permis de débourser pour une toile de Francis Bacon. Il faut dire qu’en 2007, Damien Hirst avait lui même cédé une de ses œuvres, Lullaby Spring, pour 19,2 millions de dollars par le biais de la célèbre salle de vente londonienne Sotheby’s. Il s’agissait d’une armoire à pharmacie métallique contenant 6136 pilules faites à la main et peintes individuellement… « Et ca représente quoi ? Ca représente un million » vous aurait balancé Picasso ! En termes marxistes, la valeur d’échange vient se substituer à la valeur d’usage de l’œuvre d’art…


On est donc loin de « l’art, ce consolateur des misères humaines » du poète François Ponsard. On est aussi loin de cette image emblématique d’un peintre aujourd’hui bien célèbre (et bien cher) Vincent Van Gogh, qui a vécu dans la misère et l’indifférence jusqu’à sa mort. Les artistes contemporains sont au contraire de véritables rock-stars qui gagnent et dépensent des millions. Picasso marque le début d’une génération d’artistes connus de leur vivant et à qui leur célébrité suffit à assurer leur fortune. Un simple petit dessin de Picasso sur la nappe de table d’un restaurant pouvait amplement payer n’importe quelle addition. D’ailleurs une signature de Picasso sur un chèque valait assurément plus que la somme indiquée sur le chèque !

Aujourd’hui les artistes (enfin, ceux qui réussissent) ont plus des allures d’hommes d’affaires que de bohémiens qui n’ont pour seule richesse que leur simple liberté… La production d’un artiste est comparable à un plan d’affaire stratégique : Jeff Koons produit par exemple en très petite quantité pour que sa cote se fragilise moins en période de crise... et 120 personnes travaillent au service de cet artiste New-Yorkais ! L’artiste japonais, Murakami, n’hésite pas lui a se doter de deux lieux de production – l’un à New York, l’autre à Tokyo – pour mieux couvrir la demande internationale! Tandis que Yu Minjun, l’artiste pékinois, opte pour des personnages toujours souriants : Les sourires se vendent mieux, un véritable instrument marketing! Et puis, après tout, « gagner de l'argent est un art, travailler est un art et faire de bonnes affaires est le plus bel art qui soit » nous dit Andy Warhol.


Si les artistes touchent des millions, c’est que des collectionneurs en dépensent tout autant! Posséder sa propre œuvre d’art c’est accéder à une petite élite, au cercle très restreint des riches aux âmes sensibles, de ceux qui « ont compris »! Parmi eux, le caviar de la classe internationale, la crème intellectuelle russe… Roman Abramovitch! Cet oligarque russe est surtout l’une des premières fortunes du monde, propriétaire du célèbre club de football anglais, le Chelsea FC. Le milieu de l’art s’est beaucoup moqué de ce milliardaire qui nomme, avec un humour douteux, son Yacht Ecstasea et qui surtout aurait demandé à un copiste italien de lui peindre une Marylin dans le style d’Andy Warhol et de refaire le décor de son hôtel particulier dans celui de Gustave Klimt. Cette vulgarité nonchalante a fait scandale. Mais ces riches intellectuels ne savaient surement pas qu’il ne fallait pas rire si facilement d’Abramovitch… Ce dernier a décidé de donner une leçon à ses railleurs : alors que jusqu’à maintenant il se moquait éperdument de l’art, il a fait exploser les enchères de Christie’s et Sotheby’s en s’accaparant de deux toiles parmi les plus prisées. L’une de Francis Bacon à 89 millions de dollars et l’autre de Lucien Freud, le petit fils du père de la psychanalyse, pour 34 millions de dollars! Abramovitch a parlé.

Mais il y a tout de même une question qui se pose: peut-on vraiment dire que la valeur de ces œuvres d’art, n’est que le résultat d’une large spéculation sur fond d’ostentation, alors que la plupart des grand collectionneurs (hormis Abramivitch peut-être) sont capables, d’un simple coup d’œil de distinguer un vrai d’un faux Caravage? Il faut aussi noter que le plus beau et le plus riche musée du monde n’est pas Le Louvre, le Tate Modern ou le MoMa, mais on l’appelle communément « le musée des œuvres volées » Ainsi, certains collectionneurs sont prêt à risquer la prison ou même leur vie pour s’accaparer de chefs d’œuvres à la valeur inestimable mais qui n’ont plus, paradoxalement, de valeur d’échange ! Il est souvent impossible de vendre ces œuvres tant leur notoriété est grande. Une centaine de Picasso, mais aussi des Renoir, Matisse, Cézanne, Van Gogh, et le très célèbre et splendide Cri de Munch… des milliers d’œuvres aux propriétaires absolument anonymes! Ils ne font certes pas la première page des journaux pour avoir déboursé des millions chez Sotheby’s, mais ils admirent secrètement leur petit trésor... À ce propos, une petite anecdote rigolote qui ne fera que relancer le débat sur l’appréciation monétaire de ces œuvres d’art : on raconte qu’un porte-bouteille exposé par Marcel Duchamp (1887-1968) dans un musée avait été volé. Cet œuvre est ce que l’on appel « un ready-made », une œuvre « déjà faite », autrement dit il s’agit ici d’un vulgaire porte-bouteille de fer acheté au Bazar de l’Hôtel de Ville de Paris. Quand le conservateur du musée appela tout affolé l’artiste au beau milieu de la nuit pour lui annoncer la triste nouvelle, Marcel Duchamp lui aurait répondu « vous n’avez qu’à aller en racheter un autre! »

Marcel Duchamp a en fait révolutionné la conception même de l’art. Jusqu’alors on ne jugeait une œuvre d’art qu’au regard de l’effort et de la qualité du travail dépensé pour sa réalisation. Mais Marcel Duchamp revendique « le droit à la paresse » et s’amuse à exposer ces fameux « ready-made ». Le premier de cette longue série fut donc le porte-bouteille, mais il y eut aussi Roue de bicyclette qui n’est qu’une vulgaire roue posée sur un tabouret, et il y a aussi et surtout le très célèbre urinoir qui porte l’inscription « R.Mutt » vendu tout de même à 2,8 millions de dollars! Parmi les explications, il y a d’abord la décomposition en « R M u-t-t » qui donne « Ready-made eût été » et aussi l’expression armut qui en allemand désigne la pauvreté. Bref, ca reste un urinoir dans un musée! Et d’ailleurs cet urinoir fait encore l’objet de polémiques : l’artiste Pierre Pinoncelli a volontairement brisé l’urinoir d’un coup de marteau et le propriétaire demande des réparations devant la justice… mais la justice doit-elle considérer le prix de l’urinoir sur le marché de l’art (2,8 millions de dollars) ou le prix proposé en grande-surface (50 dollars) ? Selon Warhol, « quand on y songe, les grands magasins sont un peu comme des musées » Duchamp entre en fait dans le cœur de notre sujet, à savoir la question de la valeur de l’art. Et ce sont ces polémiques et ces questions passionnantes soulevées par un stupide urinoir qui constituent tout le génie de Duchamp!

L’art évolue constamment, mais jusqu’à une certaine époque il semblait devancer la société en accompagnant souvent des grands mouvements de pensée. Aujourd’hui l’art se contente de refléter notre société pour la dénoncer ou du moins la remettre en question en la caricaturant. Contrairement à un artiste comme Van Gogh qui se voue à un travail acharné et exceptionnel tout au long de sa vie finissant par créer une demande, mais après sa mort, les artistes contemporains répondent à la demande du moment. Ou plutôt, c’est peut être la demande qui aujourd’hui a la faculté de beaucoup mieux s’adapter aux mutations artistiques. Le marché de l’art est le reflet de notre civilisation ! Si Roy Lichtenstein et Jasper Jones furent les pionniers du pop’art, Andy Warhol est considéré par ses pairs comme « the Pope of the pop ». Il est l’auteur des célèbres Marylin. C’est un travail souvent réalisé en série qui semble tout juste sorti des rouleaux d’impression. Un travail qui emploie les techniques les plus modernes. Plus de peinture à l’huile, mais des couleurs électriques, un esprit déjanté et souvent décalé. Plus de jolis champs de blé mais des boites de conserves en série. Une véritable représentation des excès de notre société de consommation, avec des prix de ventes tout aussi excessifs !

Un autre mouvement artistique proche de ce dernier qui se développe énormement en ce moment est le street-art ou l’art de rue. Il répond aussi aux excés de notre société de consommation mais en la rejetant plutôt qu’en la caricaturant. On expose non-plus à l’interieur mais à l’exterieur des musées et galeries. C’est un travail souvent éphémère, et les artistes de street-art ne sont pas des rocks-stars parce qu’en choisissant comme support la rue, mieux vaut-il se faire discret! Il y a d’abord eu Jean-Michel Basquiat (1960-1988), un américain d’origine porto-ricaine qui a commencé avec des graffiti dans les alentours des galeries d’art de Manhattan et il signe SAMO pour « SAMe Old shit » ou « même vieille merde » mais il terminera lui aussi dans des galeries... Ses œuvres s’échangent aujourd’hui avec des millions de dollars! Aujourd’hui, parmis les artistes de rue les plus en vogue, JR. Derrière ces initiales se cache non pas un graffeur mais un photographe. Son idée géniale a été de se situer entre le graffiti et la photographie en collant des portraits en formats géants dans la rue. Le musée de JR est à ciel ouvert et ses photos envahissent les plus grandes capitales. Affaire à suivre...


JR FACE 2 FACE // PARIS // DAY 2-3
envoyé par JR. - Films courts et animations.

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